En passant sous le porche d'entrée en pierre de l'abbaye de Preuilly, on a l'impression d'entrer dans l'internat du film Les Choristes, avec cette longue allée bordée d'arbres. Preuilly n'a jamais accueilli de jeunes pensionnaires, mais des moines au XIIe siècle. Cette abbaye cistercienne fêtera ses 900 ans les 29 et 30 septembre, et sera à cette occasion exceptionnellement ouverte au public(lire l'encadré).
L'abbaye de Preuilly, monument historique depuis 2004, s'étire sur 14 hectares. Largement détruite à la Révolution, il ne reste que les murs du choeur de l'église jusqu'à la naissance des ogives, les murs latéraux de la nef et un croisillon de transept incrusté d'une belle rosace.L'ensemble, qui comporte aussi une petite chapelle, se dresse majestueusement sur un gazon bien entretenu.
C'est Henri-Marie Husson, médecin de l'Hôtel Dieu qui combattait la variole en France à grands coups de vaccination, qui stoppe le démantèlement en le rachetant, morceaux par morceaux, à partir de 1829.
Preuilly est resté dans le giron de la même famille. Patricia Husson en est aujourd'hui l'héritière, de par son défunt mari. Enfant, elle participait au pèlerinage annuel de Notre-Dame du Chêne, toujours d'actualité le 4e dimanche de septembre (la vierge de Preuilly a été vénérée dès le XVIe siècle).
Quand Patricia épouse Robert Husson, surnommé Roby, en 1972, elle se plonge dans l'entretien de ce site gourmand en temps et en énergie. Un vrai sacerdoce. «Dans les années 1970, on a passé trois mois, tous les deux, à nettoyer les ruines mangées par les lierres », raconte la propriétaire, qui se considère comme «un maillon de la chaîne de transmission ». Le couple a racheté les parts des cousins, pour gérer et sauvegarder l'ensemble du domaine monastique.
Les traces d'un atelier métallurgique du XIIe
Il y a 10 ans, Patricia et Roby se sont interrogés sur la valeur historique de Preuilly. Ils ont organisé une journée de colloque, invitant une centaine d'historiens, chercheurs, archéologues spécialistes du cistercien. Parmi eux, François Blary a tout de suite plongé ses instruments dans la terre de l'ancien monastère. Cet enseignant d'archéologie et histoire de l'art à l'Université libre de Bruxelles, est spécialiste des domaines monastiques cisterciens. Il dirige depuis 2016 un chantier école de fouilles archéologiques, entouré d'une quinzaine d'étudiants, dans la grange des Beauvais.
Car ici, le plus extraordinaire n'est pas tant le religieux mais l'activité économique du site. « Nous avons mis à jour les traces d'un atelier métallurgique du XIIe, qui a fonctionné durant 200 ans, s'enthousiasme François Blary. Une découverte mondiale. Les recherches des abbayes sont le plus souvent axées sur le religieux, au détriment des fermes.»
Dans cette grange de 44 m de long, les archéologues redécouvrent un atelier de coulée, une forge, une ferronnerie. De quoi retracer l'histoire de la métallurgie. « Il ne faut pas oublier que les monastères vivaient en autarcie, poursuit François Blary. Les moines fabriquaient des objets en série, des clous, des barres d'acier qui ont servi aux premiers édifices des églises. Les ateliers existaient dans tous les monastères mais ont été très peu conservés. »
A Preuilly, granges et bâtiments sont restés debout. Mis bout à bout, ils mesureraient 1,5 km de long ! L'activité fermière n'a pas disparu, bien au contraire. C'est Audren Husson, la fille de Patricia, qui a repris les rênes de la propriété. A 33 ans, elle est à la tête d'une exploitation agricole céréalière de 450 hectares et d'un hara, avec pension de chevaux. «Nous allons passer à l'agriculture bio en 2019 et le projet est d'acheter des vaches.» Un retour vers le futur.
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Yves et Chantal Husson ont grandi à Preuilly, avec leurs six frères et sœurs, parmi lesquels Roby, feu le mari de Patricia Husson. « On vivait heureux ici, aux côtés des familles des ouvriers agricoles, souvent des réfugiés espagnols. Ma mère faisait à manger pour 25 personnes », raconte Yves, président de l'Association pour le rayonnement de Preuilly. Les enfants jouaient dans les pierres, « sans se rendre compte du trésor » qui les entourait.