Cathédrale romane Saint-André, Chapelle du Crucifix et Cloître du Paradis ; commune d’Amalfi, province de Salerne, région de Campanie, Italie
Le monument le plus insigne de l’ancienne république maritime est certainement la cathédrale. De la place principale de la ville, un majestueux escalier de cinquante-sept marches mène à l’atrium qui précède l’église et qui donne accès à ce qu’on appelle la chapelle du crucifix ainsi qu’au célèbre cloître du Paradis. Celui qui se tient face à la construction pour en discerner les aspects médiévaux au-delà des nombreuses interventions de reconstruction ou de restauration (la transformation totale eut lieu entre 1703 et 1718 par le vouloir de l’archevêque Michèle Bologna), doit avant tout avoir présent à l’esprit que la cathédrale primitive n’est pas l’actuelle mais celle qui lui est contiguë, plus petite, jadis dédiée à la Vierge de l’Assomption et aux saints Côme et Damien, et appelée depuis le XVIe siècle l’église ou la chapelle du Crucifix. Nous parlerons donc aussi de cet édifice dont l’histoire, en particulier, est intimement liée à celle de la cathédrale actuelle. A la suite des investigations archéologiques entreprises dans les années 1931-1938 et toujours en cours, cette construction primitive, désormais complètement dégagée des superstructures baroques, apparaît conforme aux schémas romains traditionnels : trois nefs couvertes d’une charpente apparente et séparées par des colonnades, avec l’adjonction d’une pseudo-tribune qui donnait sur la nef centrale par des fenêtres doubles, aux arcs brisés très aigus, au-dessus desquelles s’ouvre une série de fenêtres simples, elles aussi fermées d’arcs brisés. Des trois nefs n’en subsistent plus que deux, la troisième qui se trouvait du côté gauche ayant été supprimée pour donner de l’espace au cloître du Paradis adjacent et le rendre plus régulier; ce cloître, nous le verrons, fut construit dans la deuxième moitié du XIIIe siècle. La datation de la chapelle, comme le suggèrent en général les documents écrits traditionnels, pourrait en effet se situer, à en juger par ce qui est visible, aux alentours de la fin du Xe siècle, lorsque le diocèse d’Amalfi fut, avec l’archevêque Leone Ier, élevé à la dignité métropolitaine par le Pape Jean XV en 987. … Le plan trapézoïdal, tout à fait inhabituel pour les églises campaniennes de l’époque romane, l’emploi de la double rangée de fenêtres et le style de certains éléments plastiques et architecturaux (les piédroits du portail et la corniche sculptée en façade) semblent exclure une datation plus tardive. D’autre part la présence, apparemment précoce, de l’arc arabisant (que l’on peut estimer introduit directement de l’Islam et qui connut une telle fortune dans le développement de l’architecture campanienne) s’explique par les activités commerciales d’Amalfi, qui dès le Ve siècle mettaient la cité campanienne en contact avec tous les centres de l’Orient méditerranéen … Mais essayons de définir l’aspect de l’église métropolitaine et d’éclaircir les vicissitudes qu’elle a subies au cours des siècles. A cet égard, nous pourrions, avec cependant toute la prudence voulue, considérer comme encore valables certaines observations formulées par Rosi dès que furent pratiqués les premiers sondages dans la structure des murs de la cathédrale : « Une fois démolie (la nef de gauche de l’église), peut-être pour laisser la place au cloître du Paradis... furent alors (entre 1266 et 1268) supprimées les arcades de communication avec la nef centrale, murées également selon toute probabilité les fenêtres doubles de la tribune et construits extérieurement des locaux semblables aux travées du cloître, sans doute reliés à celui-ci étant donné l’allure analogue des murs gouttereaux, et donc indépendants de l’église. Dans la suite au XIVe siècle, époque à laquelle s’était répandu l’emploi de l’arc surbaissé, cher aux constructeurs gothiques, on voulut transformer ces espaces en chapelles et l’on ouvrit les horribles arcades (les premières à partir de l’entrée), les faisant retomber sur des colonnes simples ou doubles, en partie adossées et en partie engagées dans le mur gouttereau; et ce faisant on négligea la correspondance avec les trois travées des voûtes de couverture, que l’on remania donc et retailla un peu pour obtenir ainsi un motif rythmique régulier de quatre arcades du côté de la nef centrale de l’église qui se trouve au-dessus. Les arcades suivantes, plus récemment découvertes et en partie reconstituées, toujours le long de la nef de gauche, présentent le même type d’arcs aigus que sur la colonnade de droite correspondante, la seule qui, à ce qu’il paraît, spécialement dans la partie la plus proche de l’abside, n’a pas dû subir de grands remaniements; ainsi serait confirmée l’existence d’arcades très aiguës pour toute la colonnade de gauche avant les mêmes arcades du type de Durazzo ou pourvues d’arcs surbaissés dont parle Rosi. Le schéma général de l’église qui fût construite autour de 987 présentait donc, par rapport aux schémas traditionnels, la variante des arcades aiguës le long des colonnades et la présence sur les murs de la nef centrale d’une double rangée de fenêtres. De telles innovations cependant, à part l’emploi de l’arc aigu (qui par ailleurs apparaît dans des contextes généralement différents), n’eurent pas d’écho direct dans l’architecture campanienne ultérieure. Ceci comme preuve supplémentaire de l’archaïsme de l’épisode d’Amalfi qui, s’il fut suivi d’une très maigre production architecturale à l’approche de l’an mille, fut par ailleurs rapidement rejeté dans l’ombre par le modèle cassinais patronné par l’abbé Desiderîus. La nef de droite se termine par une abside précédée d’une petite coupole à fuseaux. Cette solution, dont nous ne savons pas si le symétrique existait à l’extrémité de la nef de gauche, semble une évidente adjonction ultérieure, du fait que la structure de la coupole comme sa décoration se relient à une série d’édifices de la région de la fin du XIIe siècle (Santa Maria a Gradillo et San Giovanni del Toro à Ravello) ou du XIIIe siècle en son plein (cathédrale et château de Caserta Vecchia, bain de Pontone et villa Rufolo à Ravello). De sorte que, compte tenu d’un certain caractère rudimentaire de ses parties décoratives, la coupole d’Amalfi ne devrait pas être antérieure à la deuxième moitié du XIIe siècle. La construction de la seconde cathédrale (l’actuelle) remonte pour certains archéologues (Schiavo et Venditti) à l’époque même du doge Mansone Ier, tandis que pour d’autres (Pirri) elle se situe au temps de l’archevêque Matteo Capuano (1202-1215) et du cardinal Pietro son frère, qui en 1208 transporta à Amalfi le corps de saint André. Une datation intermédiaire, jadis proposée par Rosi, semble par contre plus acceptable d’un point de vue historique et archéologique. Les travaux qui selon toute probabilité furent commencés vers le milieu du XIe siècle, se déroulèrent au ralenti, …et probablement avec des interruptions. En 1065 était déjà installée à l’entrée principale de la nouvelle église la porte de bronze byzantine (encadrée à présent de piédroits du début du XIIIe siècle et d’un linteau qui est une « copie » due à la restauration du XIXe siècle). … Vers la fin du siècle, la nouvelle cathédrale, qui avait été dédiée à saint André apôtre, était encore l’objet de soins et d’interventions : c’est d’octobre 1091 que date un diplôme du duc Roger par lequel sont assurés à l’église d’Amalfi les moyens nécessaires pour apporter des modifications à l’édifice ou pour le restaurer … Ce qui signifie que la cathédrale n’avait pas encore atteint la dimension nécessaire et la perfection requise ; mais quel projet ou quel travail précis avait été prévu alors, seule pourra le dire une analyse exacte et directe du monument. L’unique chose à peu près certaine est que l’actuelle disposition des piliers baroques respecte fidèlement l’emplacement originel des colonnes qui y sont englobées. Vers la fin du XIIe siècle, nous ne savons pas exactement pour quelles raisons, la première cathédrale, celle du Crucifix, qui très probablement était encore utilisée pour le culte, fut agrémentée de la coupole à fuseaux dont on a parlé plus haut. Après quoi, jusqu’au XIIIe siècle, aucune modification substantielle ne devait être apportée aux deux cocathédrales, dont la position côte à côte voulait peut-être présenter une nouvelle version du système paléochrétien des « basiliques doubles », déjà réalisé sous des formes diverses à Naples, Aquileia, Pola, Treviri, etc. Entre 1206 et 1208, selon les renseignements fournis par certaines sources historiques, le cardinal Pietro Capuano, à son retour de Constantinople où il avait été envoyé comme légat pontifical pendant la quatrième croisade, apporta à Amalfi le corps de saint André apôtre et le plaça dans la crypte dont lui-même avait ordonné la construction à ses frais en même temps que le transept qui la surmonte …. Les mêmes sources et d’autres encore rassemblées par ceux qui ont étudié la question (Pansa, Caméra, Pirri, etc.) précisent que la crypte fut terminée par Giovanni Capuano (archevêque d’Amalfi de 1218 à 1239 et frère du cardinal Pietro), tandis que l’archevêque Matteo Capuano (oncle du cardinal) devait mener à son terme le vaste transept (navis ecclesiae) dont seule probablement 1a partie médiane, c’est-à-dire le sanctuaire, avait été réalisée, y construisant ensuite pour lui-même, dans l’aile droite, une chapelle en l’honneur du saint dont il portait le nom … L’église du XIe siècle qui était peut-être dotée d’une crypte, fut donc transformée selon les exigences liturgiques nouvelles liées à la transition du corps de saint André : outre le remplacement des structures anciennes du côté Est sur lesquelles on ne peut malheureusement rien dire de précis, faute d’éléments …, d’autres travaux suivirent … Mais nous ne devons pas pour autant penser à une reconstruction plus complète et même radicale de tout l’édifice du XIe siècle, étant donné que le transept comme la crypte s’ajustaient à la largeur totale des nefs préexistantes dont les colonnades, répétons-le, ont toujours gardé intacte leur position originelle, même à l’époque baroque, …
Une fois terminé le transept, et pour proportionner l’église de Sant’Andrea à l’importance déjà prise par le transept lui-même (dont l’aspect intérieur devait être extrêmement suggestif, comme le laisse entrevoir ce qui reste des arcades entrelacées d’une fausse galerie et les fenêtres murées), on transforma également dans ses parties hautes la nef centrale en rehaussant ses murs aveugles (Rosi faisait remarquer que ces murs s’adossent ostensiblement au transept) et en continuant sur ses parois une série de petites fenêtres semblables à elles du transept. C’est dans cette circonstance que fut construit l’arc triomphal avec deux superbes colonnes de granit égyptien conservées sur place encore aujourd’hui, tandis que les nefs latérales étaient couvertes de voûtes d’arêtes destinées à l’origine à demeurer visibles à l’extérieur comme celles de nombreuses églises de la Campanie maritime. Le poids de ces couvertures, en même temps que celui d’une voûte construite sur la nef de droite de l’église du Crucifix à la façon d’un compluvium, mais aux dépens de la tribune le long de ce côté et de la coupole terminale, entraîna à son tour une reprise du mur commun aux deux églises cathédrales, remédiant par avance à un affaissement à la base par l’insertion de colonnes jumelées et un épaississement convenable de la partie supérieure. Grâce à une telle colonnade à jour on obtenait une liaison plus étroite des deux édifices dans l’intention explicite de créer une seule basilique à six nefs, qui par la présence d’une épaisse forêt de colonnes se conformait à des solutions analogues (le plus souvent à cinq nefs) désormais dispersées en Campanie et ailleurs (Naples, Bénévent, Santa Maria Capua Vetere, Gaète, Pise, Lucques, etc.) comme témoignage d’une tradition paléochrétienne ou comme reflet d’une culture à forte saveur musulmane (que l’on songe par exemple aux colonnes des mosquées). … La crypte, à la suite de la réfection du XVIIe siècle qui a dû en modifier le plan originel, est à deux nefs, à la ressemblance de celles de la région (Salerne mais surtout Scaîa) avec des voûtes en croisées d’ogives soutenues par des colonnes engagées dans des piliers de marbre. Les travaux « d’embellissement » furent patronnés, comme dans le cas de la crypte de Salerne, par le roi d’Espagne Philippe III et confiés de 1600 à 1612 à la direction de Domenico Fontana, tandis que les revêtements de marbre furent exécutés entre 1762 et 1766. Il est fort probable qu’au moment de la soudure des deux cathédrales on construisit aussi un portique commun. En raison des restaurations fantaisistes de l’architecte Enrico Alvino à la suite de l’écroulement de 1871 (la cause en fut la chute de la façade), le portique actuel ne respecte que par certains côtés la disposition originelle, tant externe qu’interne, dont nous donnent une idée quelques témoignages peints (de Gabrielle Carelli, Antonio Senape et de Schulz) antérieurs à cette date. Il s’agit d’un local semblable à une crypte qui - fût-ce seulement au niveau iconographique - représente un moment d’équilibre soigné dans le processus spontané d’unification des deux cathédrales. Les fenêtres triples à jour ou claustra situés dans les ouvertures des arcades latérales (trois sur le côté de l’église du Crucifix et une du côté opposé) furent probablement décidés plus tard (selon Pirri et Castelffanco) par l’archevêque Filippo Augustariccio (1258-1291) auquel on doit aussi la commande du cloître du Paradis et du clocher.
Comme le portique, la façade est aujourd’hui entièrement refaite. Selon Caméra son décor originel (avant même la baroquisation décidée par l’archevêque Bologna) était centré sur des « archivoltes aux arcs entrelacés... petites fenêtres aux arcs brisés... sveltes colonnettes... ornements... figures et arabesques ».
Le cloître, comme on l’a dit, fut construit sur l’ordre de l’archevêque Augustariccio, alors que la ville d’Amalfi commençait à vivre dans une nouvelle période de prospérité politique avec la conquête du duché par Charles d’Anjou. Daté, au témoignage de Caméra, d’entre 1266 et 1268, ce cloître fut d’abord un cimetière pour la sépulture des personnages les plus illustres ou les plus méritants de la ville. Conçu de plan presque carré, il disposait d’une surface si restreinte que, comme on l’a dit, il fut nécessaire ne récupérer un peu plus d’espace sur la nef de gauche de l’église du Crucifix adjacente. Comme tant d’autres cloîtres d’Amalfi (ex-couvent des capucins et ex-couvent de Saint-Antoine) et de Salerne (couvent de Saint-François et de Saint-Dominique), un péristyle se déroule tout autour, fait d’arcs brisés entrelacés, que reçoivent des colonnes géminées coiffées de chapiteaux en demi-lune sculptés dans un seul bloc de pierre. Le long des galeries Est et Sud s’ouvrent diverses petites chapelles avec abside (et colonnettes d’angle), dans certaines desquelles demeurent des fresques surtout gothiques tardives (mais à l’angle Sud-Est restent les vestiges d’un décor du XIIIe siècle). Dans le cloître lui-même, outre quelques sculptures du haut Moyen Age, sont conservés d’autres fragments sculptés de l’église du Crucifix, des éléments architecturaux de l’église de Sant’ Andréa remplacés par des réfections du XIXe siècle (par exemple les aiglons du portail central) et des fragments de deux anciens ambons (de nombreux autres fragments ont été insérés dans les chaires élevées en 1708). Quelques années après la construction du portique, l’étage actuel des cloches vint compléter le campanile, qui dès 1180 (d’après Caméra) précédait la double cathédrale, occupant un emplacement plutôt insolite, imposé peut-être par l’antique implantation de la ville. La date des travaux est rappelée à la fois par le Chronicon amalphitanum : avec le nom du commanditaire, et par l’inscription encastrée dans la face Est de la construction elle-même. La présence de colonnes d’angle dans la partie la plus ancienne de cette construction rappelle celles de même type et d’inspiration cassinaise (Aversa, Salerne, Capoue, Noie, etc.), tandis que la structure de l’étage terminal, caractérisé par un corps central arrondi posé sur une base carrée avec des tourelles aux angles, semble synthétiser des conceptions diverses (parmi celles-ci on est allé jusqu’à en repérer une de type calabro-byzantin, au prix d’un rapprochement forcé avec la Cattolica de Stilo. Y apparaissent cependant avec une force particulière et un syncrétisme chaleureux certains procédés présents dans l’art régional
comme de Caserta Vecchia et peut-être aussi le petit clocher de l’église de Santa Maria Maggiore à Amalfi, dont on admet que la construction date approximativement de 1161.
(extrait de : Campanie romane ; Mario d’Onofrio, Ed. Zodiaque, Coll. La nuit des Temps, 1981, pp. 293-335)
Coordonnées GPS : N40.634364 ; E14.602832